Contre le pardon à tout prix : la repentance comme condition nécessaire du pardon
Dans ce qui suit, je propose un compte rendu du livre suivant :
Jacques
Poujol, La colère et le pardon. Un chemin
de libération. Empreinte temps présent, coll. « Essenciel », 2008,
64 pages.
Dans
ce livre pratique qui touche à la psychologie, il est question de pardon
interpersonnel, en lien avec la notion de pardon dans la foi chrétienne. Ce livre
s’adresse aux personnes qui ont été blessées et à celles qui les accompagnent, ainsi
qu’aux personnes qui exercent dans le domaine de la relation d’aide. Dès
l’ouverture, J. Poujol précise qu’il s’inscrit en faux contre une conception erronée
du pardon qui voudrait qu’il faudrait « pardonner à tous et sans condition
aucune » (page 10).
L’auteur
fait d’abord un détour par les écrits bibliques pour éclairer la notion de
pardon. Dans la Bible, le pardon est une notion de type juridique, avec un offenseur
(la personne qui a fait du mal) qui a une dette à l’égard de l’offensé. Le
pardon n’est accordé par l’offensé que lorsque l’offenseur fait acte de
repentance. Sans repentance, le pardon est impossible.
J.
Poujol fait la liste de quelques fausses croyances relatives au pardon. Ces
croyances retiennent les personnes offensées dans des prisons intérieures. En
particulier, pour l’auteur, pardonner ne veut pas dire que l’offensé devrait « redevenir
comme avant » face à l’offenseur. L’auteur rappelle également la
différence entre l’erreur de comportement (sans trop de gravité) et l’offense.
A cette distinction fait écho une autre distinction, entre excuses (la personne
qui a fait une erreur de comportement est censée présenter ses excuses) et
pardon (l’offenseur est censé demander pardon à l’offensé).
Pardonner
est difficile pour l’offensé, et demander pardon est difficile pour l’offenseur.
En effet, l’offense et le pardon remettent en question la croyance (de l’offensé
et de l’offenseur) en leur toute puissance (leur « moi idéal »). Pour l’offensé, l’offense a eu un impact sur son moi idéal ; elle
lui rappelle sa fragilité, sa vulnérabilité, et sa crédulité. L’offensé se dit
qu’il n’a pas été capable de se protéger. Pour l’offenseur, reconnaître sa
faute remet en question ce qu’il pensait pouvoir être dans la vie ; cela
questionne sa construction intérieure. Pour l’offenseur, minimiser, banaliser,
ou excuser son rôle lui permet de sauvegarder son sentiment de toute puissance.
Le pardon renvoie à l’acceptation de la fragilité et de la finitude.
J.
Poujol distingue trois types d’offenseurs :
(1)
L’offenseur bienveillant, dont l’offense n’est pas intentionnelle, qui sera
capable de dire qu’il est responsable de l’offense.
(2)
L’offenseur égocentrique, qui « est plus orienté vers la compensation
de ses propres blessures narcissiques que vers l’écoute et la rencontre de
l’autre » (page 26) et qui traite les autres comme des objets.
(3)
L’offenseur malveillant, qui considère également les autres comme des objets et
qui emploie différent moyens (physiques, sexuels, psychologiques…). Lorsque
l’offensé lui expose sa souffrance, ce type d’offenseurs ment, se réfugie dans
le déni, et inverse la responsabilité entre la victime et lui-même. Dans la
Bible, l’offenseur malveillant est le « méchant ».
Concernant
la repentance et le pardon, l’auteur présente trois grands cas de figures, qui
correspondent aux trois types d’offenseurs.
(1)
Le cas simple : conscient de l’offense, l’offenseur (bienveillant) se
repent, et l’offensé accepte la demande de pardon.
(2)
Lorsque l’offenseur (égocentrique) n’est pas conscient de sa faute, l’offensé
peut lui exposer les faits, son ressenti, et les conséquences sur sa vie.
L’offenseur demande ensuite pardon. J. Poujol souligne qu’il est possible que
la personne blessée ait de la peine à pardonner.
(3)
Lorsque l’offenseur est malveillant, il refuse de reconnaître sa responsabilité,
ne se repent pas, nie le problème, et se fait passer pour la victime. J. Poujol
souligne alors que l’offensé ne doit pas accorder son pardon : « ce
serait une grave erreur de croire qu’il est bénéfique d’accorder son pardon à
quelqu’un qui ne se repent pas » (page 33) ou encore « on ne peut
jamais passer directement de « je suis offensé » à « je
pardonne » » (page 36) (il manque l’étape de la repentance de l’offenseur). L’offensé ressent de la colère, qui est la réaction face à la situation
d’injustice.
Dans ce cas (3), J. Poujol suggère à l’offensé d’emprunter un autre
chemin que celui du pardon pour se libérer de l’offense. Pour l’offensé, l’offense représente un
« dossier » qui l’empoisonne et qu’il faut classer en quelques sorte.
Pour J. Poujol, l’offensé, en « se disant », peut confier ce dossier
à Dieu [mon point de vue personnel : il me semble que dans certains cas
graves il peut aussi confier le dossier à l’institution judiciaire en portant
plainte]. Le fait de se dire (de « lâcher prise ») rend l’offensé
libre. J. Poujol mentionne que se détacher du dossier ne signifie en aucun cas
accorder son pardon. Enfin, « l’énergie que libère le souvenir de l’offense
devra maintenant trouver une expression nouvelle dans un militantisme concret
qui œuvre pour la justice » (page 35).
En
se fondant sur une mauvaise interprétation de textes bibliques, des groupes
pseudo-thérapeutiques peuvent parfois mettre en avant l’idée que la victime
devrait essayer de pardonner alors qu’il n’y a pas eu de repentance de
l’offenseur. Ces groupes affirment que le pardon est nécessaire à la guérison. Pour
J. Poujol, cette approche fait de la victime la responsable du problème, et par
là-même lui fait violence. Pour ces raisons, J. Poujol conclut que cette
approche est profondément nocive. Il rappelle qu’aussi bien St Augustin que
plusieurs autres théologiens affirment qu’il
n’est pas possible d’accorder de pardon à celui qui ne s’est pas repenti.
L’auteur
souligne les bienfaits de la colère, qui pousse l’offensé à dire sa blessure. La
colère peut être dirigée contre différentes personnes, y compris les parents (alors
que l’on a traditionnellement interdit aux enfants de faire un droit
d’inventaire de ce qu’ils ont reçu de leurs parents, l’auteur affirme que
faire cet inventaire est une nécessité). J. Poujol affirme qu’exprimer sa
colère, plus précisément « bien dire sa colère » en suivant plusieurs
étapes (voir page 52), permet de se libérer.
Avant
de conclure, l’auteur reprend des versets bibliques souvent mal compris selon
lui, pour en donner une interprétation appropriée. C’est l’occasion pour
l’auteur d’ajouter quelques idées supplémentaires. Par exemple, donner le
pardon sans repentance est une façon de cautionner le mal. De plus, le pardon
sans repentance relève aussi d’un manque de compassion, puisqu’il ne permet pas
à l’offenseur de prendre conscience de ses actes.
En
conclusion, J. Poujol écrit que « le véritable pardon n’est ni
inconditionnel ni unilatéral. C’est une invitation, un don que l’on ne peut
offrir qu’à celui qui en fait la demande » (page 61). L’auteur termine son
ouvrage sur deux idées. La première prend la forme d'un conseil : les personnes
qui ont subi des sévices devraient chercher un bon psychothérapeute pour les
aider. La seconde idée est une exhortation à « choisir la vie » (Deutéronome 30:19).
Pour
ma part, je trouve que c’est un petit livre intéressant, que l’on soit chrétien
et croyant ou pas, car il invite à réfléchir à différentes conceptions du
pardon. Pour se faire une idée plus précise sur le propos de l’auteur, il sera bien
entendu nécessaire de lire le livre.
Mon compte rendu est aussi sur Babelio : voir ici.
Mon compte rendu est aussi sur Babelio : voir ici.
Commentaires
Enregistrer un commentaire